Tous les articles par Paul-Aurélien Combre

Bien travailler avec le compositeur

J’aime connaitre l’environnement de travail de mes collaborateurs. Je veux les aider à travailler dans de meilleures conditions et savoir ce qu’ils peuvent apporter au film. Si je vois assez bien ce que font l’auteur, l’étalonneur, le monteur, le mixeur, le chef-op ou encore le producteur, cela fait désormais plus de dix ans que je travaille régulièrement avec des musiciens  sans vraiment me pencher sur la façon dont notre collaboration fonctionne et peut être améliorée.

J’ai récemment eu la chance de participer à la formation « Musique à l’image pour réalisateurs : les fondamentaux pour aborder sereinement le travail sur la musique de son film » proposée par les Escales Buissonnières à Lyon.

Cette formation a été initiée par Nathanaël Bergèse de chez Adélie Prod http://www.adelieprod.com/

J’en suis sorti avec les oreilles plus affutées et avec plein d’idées pour mes réalisations futures. Alors je ne vais pas vous raconter ici tout ce qu’il s’y est dit car vous trouverez plein d’idées sur le blog de Nathanaël (http://www.adelieprod.com/choix-des-instruments/).

Je me suis dit que sa façon de travailler pourrait servir à beaucoup de réalisateurs.

  • C’est pas plus compliqué que ça de faire ça bien.
  • Ça va vous faire gagner du temps.
  • Votre budget musique sera mieux utilisé.
  • Vous aurez plus d’idées.
  • Votre musique de film sera mieux.

Concrètement, on fait quoi côté réalisateur ?

Votre musicien en saura toujours plus sur la musique que vous. Il sait que retourner cet accord va rendre la mélodie plus harmonieuse, que les percussions conviendront mieux à cette séquence ou que travailler sur une rythmique à 5 temps va créer une tension. Chacun son métier et c’est tant mieux. L’idée n’est pas de devenir son égal en connaissances musicales. L’idée, c’est de pouvoir le guider efficacement vers une musique qui vous convient.

Déjà la première question à se poser, c’est :

Comment comptez-vous utiliser la musique ?

Bon, depuis le temps, vous avez remarqué qu’en tant que réalisateur, on doit arbitrer entre :

  • Mettre le spectateur sur des rails et codifier le rapport émotionnel pour dire au spectateur ce qu’il doit ressentir.
  • Miser sur l’expérience personnelle du spectateur et le laisser décider de ce qu’il ressent.

Je dirai que c’est comme aller dans un musée, voir une œuvre avec un audioguide ou juste rester devant le tableau et se questionner sur ce que l’artiste a voulu exprimer. Il en va de même avec la musique du film, il faut décider si elle va emmener le spectateur vers d’autres niveaux de lecture ou plutôt souligner les émotions que vous essayez de faire passer à l’image. Autant dire qu’en documentaire TV pour des cases dont la grammaire cinématographique est déjà codifiée, vous êtes plutôt sur la première option. Mais cela n’empêche pas de faire une musique intelligente qui sert le film.

Il est temps de choisir son musicien

Une des nombreuses méthodes pour trouver un musicien de talent

La plupart des réalisateurs ont leur musicien attitré, avec qui cela se passe très bien. Mais il arrive parfois que le musicien soit imposé par la prod, par la chaîne, par la collection, par le producteur étranger ou que sais-je. Ou que pour un projet particulier, vous avez pensé à un nouveau musicien. Il y a plein de musiciens à l’image compétents, mais si c’est une nouvelle collaboration, suivre une méthodologie un peu universelle n’en sera que plus rassurante.

Avant toute nouvelle collaboration, il y a au moins quatre éléments à prendre en compte :

  • Le style de la personne : si le musicien est spécialisé dans un univers musical, est-il celui que je veux pour mon projet ?
  • La proximité : y a-t-il possibilité à certains moments de travailler ensemble dans la même pièce ?
  • La personne peut-elle tenir les délais ?
  • Le feeling. Il n’est pas obligé d’avoir des goûts musicaux communs, mais qu’au moins le courant passe.

 

Exemple typique de rencontre compositeur/réalisateur

Une fois que vous avez trouvé votre match, deux autres questions valent la peine d’être étudiées en amont :

  • Est-ce que la musique est complètement faite à l’ordinateur ? Sinon, qui va s’occuper de l’enregistrement et des musiciens ?
  • Le nombre d’aller-retour est-il limité ?

 

Ce réalisateur découvre qu’il peut avancer la musique avant de commencer le montage. Ce qu’il se passe ensuite est incroyable !

Il n’y a pas si longtemps, je trouvais que commencer la musique avant d’avoir les premières séquences montées était une perte de temps. Que le risque était trop grand de faire travailler le musicien pour rien. Mais ça c’était avant.

En fait, c’est le moment de gagner du temps. Un temps qui sera précieux à la fin du projet, quand les deadlines se rapprochent et que tout s’accélère. Soyons réalistes : on finit toujours par être à la bourre, donc il vaut mieux anticiper au maximum. Et comme on est meilleur dans les phases où l’on est détendu, reposé et disponible, on pourra faire confiance à ces idées plus tard.

A l’inverse, plus on va réfléchir à sa musique tard, plus on va lui laisser un rôle minimaliste.

Compositeur contacté trois jours avant le visionnage

C’est donc le moment d’écrire une Note D’Intention Musicale

Bon il est désormais officiel que les réalisateurs détestent écrire des notes d’intentions. Donc pourquoi en rajouter une, sur la musique en plus, alors que c’est le travail du musicien ? Rassurez-vous, c’est seulement à destination du compositeur, personne d’autre ne vous jugera. C’est un outil de communication qui va permettre une première interaction entre un réalisateur et un compositeur qui ne se connaissent pas.

 

Exemple typique d’un réalisateur en train de faire semblant d’écrire une note d’intention

Le but, c’est d’anticiper : de quelles musiques vais-je d’avoir besoin ?

Je glisse là un petit rappel de différentes utilisations de musique à l’image :

  • Elle représente un personnage, un lieu, un thème. Elle apporte ainsi à elle seule une information en plus dans la narration (pensez à la marche impériale qui introduit Dark Vador dans Star Wars).
  • Complètement contextuelle, elle aide à situer un lieu, un espace, un temps (pensez à un plan de la tour Eiffel, un mec avec un béret passe une baguette à la main, bim, on envoie un air d’accordéon).
  • Elle sert pour une transition.
  • Symbolique : elle évoque quelque chose de particulier.
  • Mickey Mousing : totalement illustrative des mouvements (un furet sautille dans les bois).
  • Juste emphatique : souligne l’émotion du personnage (sa femme l’a quittée, sa voiture est en panne, il pleut, bim, on envoie les violons).

 

Écrire une note d’intention musicale, c’est donc comme écrire comme une note d’intention classique :

  • Travail en entonnoir : du général au particulier.
  • Être structuré dans le propos.

 

Voici un exemple d’entonnoir. Si vous répondez déjà à ça, votre compositeur sera super content :

  • Comment j’imagine le son du film de manière globale ?
  • Quelle est la quantité de musique pressentie ?
  • Quelle sera la fonction, le rôle de la musique en général ?
  • On peut ensuite rentrer dans le détail. A-t-on des envies différentes selon les parties ?
  • Est-ce qu’il y aura un ou des thèmes récurrents ?
  • Quand on ne sait pas quoi dire, on se recentre sur ce qu’on veut communiquer au spectateur.

Et on laisse au compositeur le choix des outils pour atteindre notre objectif. Si on a eu la possibilité d’écouter des musiques existantes du compositeur, c’est un plus pour s’inspirer et échanger

Pendant le montage

Le montage avance, la personne à côté de vous essaie vainement de lancer une discussion sur les avantages et les inconvénients des raccourcis Avid et vous ressentez qu’il est temps de mettre de la musique sur la timeline. Et là, y a le bon et le mauvais réalisateur. Le mauvais réalisateur prend la dernière BO de Hans et colle les pistes une par une sur son montage pour voir si ça marche. Et puis il y a le bon réalisateur, qui prend la dernière BO de Hans Zimmer et colle les pistes une par une sur son montage. Mais c’est un bon réalisateur. Parce qu’il sait utiliser une Temp Track.

La Temp Track, ou piste temporaire, c’est cette musique que l’on utilise provisoirement au montage. Et souvent, on demande au musicien de s’en inspirer pour qu’il compose la musique originale du film. Ça a des supers avantages, mais, on le sait moins, de gros inconvénients.

Commençons par les avantages

La temp track donne une indication de style. Donner un exemple au compositeur est un énorme gain de temps et évite le risque de ne pas se comprendre du tout. C’est efficace, ça fonctionne.

Mais il y a un mais

  • Si on fait un montage trop précis en fonction de ces musiques, c’est foutu pour mettre autre chose.
  • Le compositeur va avoir tendance à faire une photocopie.
  • Il va finalement falloir enlever cette musique du montage alors qu’on s’y est habitué et tout nous semblera moins bien.

 

La Temp Track peut donc être enfermante pour le réalisateur comme pour le musicien. SI vous ne me croyez pas et que vous avez 8 minutes de plus à perdre, voici quelques exemples :

 

 

Ce que l’on va donner au compositeur doit donc être réfléchi et accompagné. L’objectif est d’être d’accord sur ce qui nous plait dans cette musique provisoire, pas d’avoir une copie bête et méchante   ( et moins cher ).

La Temp Track est un outil de travail, ce n’est pas fait pour être beau. Ce n’est pas le truc qu’on montre à son producteur ou à la chaine. Plus c’est haché, découpé par petits bouts, mieux c’est.

Déjà, le compositeur ne va pas forcément ressentir la même émotion à l’écoute de cette musique. Certains conseillent même de ne pas donner de Temp Track au musicien et de seulement parler du ressenti.

Une autre solution est de proposer plusieurs musiques, qui peuvent fonctionner chacune pour une raison : une orchestration, un rythme, une couleur, etc.

 

Temp Track ou pas, voici les questions qu’il faut se poser :

Dans cette scène ou cette séquence

  • Qu’est- ce que je veux dire ?
  • Qu’est-ce que je veux que le public ressente ?

Est-ce que j’ai besoin de musique ? Que peut-elle apporter ?

  • Y-a-t-il besoin de souligner un personnage ? De rendre l’émotion plus forte ? De remplacer la narration ou le dialogue ?
  • Ai-je opté pour une façon originale d’amener ma musique dans la scène ?

La meilleure façon de dire tout ça, c’est de livrer au musicien un Script Musical. En voici un exemple :

EXEMPLE SCRIPT

On touche au but

Grâce à la pertinence de votre travail, le musicien livre une première musique. On touche au but, mais le travail n’est pas encore fini. Déjà, il faut faire une écoute à chaud et une à froid. Parfois on est dans l’émotion, on regrette la Temp Track. Et il va alors falloir creuser un peu ce qui nous plait et ce qui ne convient pas dans ce que le compositeur a livré.

Vous n’avez pas envie d’être ce client désagréable qui dit juste ‘’ça ne va pas’’, sans dire “ce qui ne va pas, c’est…”. Avec pédagogie et en utilisant toujours ces mêmes outils, vous devriez rapidement parvenir à une musique qui vous convient.

 

Exemple typique d’un compositeur respecté par le réalisateur

 

Il faut aussi prévenir le musicien de l’avancée du montage. Qu’est-ce qui peut encore bouger ? Qu’est-ce qui a été validé ? Si vous lui demandez de caler chaque note sur une musique qui va finalement disparaître, c’est une énorme perte de temps et une très mauvaise utilisation de votre budget musique.

Pour reprendre, voici donc pour un documentaire les échanges à avoir théoriquement avec votre compositeur :

  • Note d’intention musicale par le réal.
  • Discussion en amont entre le réal et le compositeur.
  • Le compositeur propose des thèmes et des premiers travaux.
  • V1 du montage avec des Temps Track et à partir des premiers thèmes livrés par le musicien. Le réal livre un script musical pour accompagner le montage.
  • Le compositeur fourni une V1 de musique complète sur le premier montage.
  • Le réalisateur va au bout de son montage
  • Le compositeur finalise.