La légende dit qu’à Ménigoute, caché dans la chapelle Jean Boucard, un manuscrit écrit avec du sang de loriot raconte les mœurs des cinéastes animaliers français depuis le 12e siècle.
Bon, en vrai, il s’agit de la thèse de Maxence Lamoureux, ancien étudiant de l’IFFCAM qui a décidé de prolonger le plaisir en enchainant sur un doctorat. Avant de vous faire découvrir ce qu’on y trouve, quelques remarques préalables.
Déjà, voilà enfin un travail de fond sur le cinéma animalier ! Jusqu’alors, il y avait peu de livres sur le sujet, à part peut-être le Wildlife Films de Derek Bousé et les ouvrages de Piers Warren dans la littérature anglo-saxonne. Si le savoir progresse comme un cairn, Maxence a posé la première pierre et j’espère d’ailleurs que ce travail sera approfondi par d’autres. Cette thèse fait du bien, elle pose des bases communes pour tout une discipline.
Seconde remarque, il est très appréciable que les gens qui écrivent des thèses connaissent le métier en l’ayant pratiqué ou en le pratiquant encore. Ça change d’une grand majorité des ouvrages français que j’ai pu lire sur le documentaire, qui sont écrits par des chercheurs certes cinéphiles et non par des réalisateurs, monteurs ou producteurs.
En plus, le cinéma animalier est peu étudié, certainement parce que le genre animalier est considéré comme non noble par les autres corps du cinéma. Il faut comprendre ’’Ok vous faites des films sur les animaux, ça ne peut pas être sérieux’’. Alors qu’il existe une thèse sur ce sujet, c’est déjà le début d’une reconnaissance.
Du contenu spécifique
Bon, qu’est ce qu’on y trouve dans cette thèse ? J’ai sélectionné quelques arguments qui m’ont semblé intéressants, et tout d’abord quelques constats qui semblent pertinents :
Déjà, sur la difficulté de cerner le genre animalier dans une définition. Cinéma animalier, docu animalier, film animalier… Si comme disait je ne sais plus qui ‘’Le documentaire est un genre aux limite floues’’, que dire alors du cinéma animalier ?
Sur le public qui attend d’un film animalier qu’il soit un divertissement éducatif qui n’évoque pas les problèmes et répercute des clichés sur le monde animal. Qui ne s’attend pas non plus à ce qu’il y ait un auteur ou une intention de réalisation. Le film animalier est souvent réduit à son propre cliché généré à travers le temps.
Il pose une définition sur la fameuse french-touch que tout le monde pense savoir reconnaitre . Au cinéma plus qu’en TV ,les Microcosmos, Peuple Migrateur, Marche de l’Empereur auraient en commun « l‘éloignement du standard anglais » et l’ « artificialisation d’au moins un procédé ».
Maxence a profité d’être le premier à écrire sur le sujet pour dépasser le cadre de la sociologie, et a largement puisé du côté cinéma. Certains points m’ont donc donné quelques idées pour améliorer mes dossiers, mon écriture, voire ma réalisation.
Déjà, il y a des propositions de critères pour classer les films (pratique donc pour les notes d’intention et les pitch, quand il faut aller vite et trouver des référents !)
Critères :
Animalier sauvage ou avec de l’imprégné ? facile à filmer ?
Y a t il présence d’un personnage, plusieurs personnages ? Sont-ils rares ou très présents ?
Présence d une voix off ? dans quelle proportion ?
Type de la voix off : omnisciente ou personnage?
Montage : narratif ou discursif ?
Structure du récit ?
Temporalité ?
On en arrive à des catégories de films qui se regroupent autour des mêmes critères, les frontières étant évidemment perméables.
Catégories :
Film de nature documentaire :
« Ces films cherchent à transmettre des connaissances de sciences naturelles : les animaux présentés sont placés dans leurs milieux, des comportements spécifiques sont expliqués, les espèces sont régulièrement nommées et décrites, enfin la Nature possède le premier rôle. »
Planet Earth, les films anglais en général
Film de fiction nature :
Ça ressemble à une fiction, mais il y a de vrais animaux dedans. La Marche de l’Empereur, voire le Renard et l’Enfant.
Film contemplatif :
« La dynamique contemplative n’a que peu l’intention de donner des informations naturalistes ou scientifiques pré-mâchées par une voix-off ou des interventions humaines. Au spectateur d’observer, d’interpréter, de déduire, de sélectionner et de retenir. Le film contemplatif part du principe que l’attention du spectateur sera maximale durant toute la durée de la projection et en ce sens, cette catégorie est réservée à des conditions d’exploitations dans lesquels les spectateurs sont captifs. »
Le Territoire des Autres, le Peuple Migrateur, les Saisons.
Film d enquête :
« Le film d’enquête est une catégorie qui se définit par son désir non dissimulé de développer une recherche sur un sujet en allant à la rencontre de témoins, de spécialistes ou de scientifiques. » puis un peu plus loin« Le montage d’un film d’enquête est discursif avant d’être narratif. »
Le Règne de l’Araignée, Envahisseurs Invisibles.
Film de quête :
« Il s’agit du film animalier dans lequel un personnage, qui est souvent le réalisateur, mais qui peut être une tierce personne, s’en va quérir des informations sur un animal, ou vagabonde dans la nature en quête de l’animal ou d’une vérité ».
Ours Polaire, avec ou sans glace ?, Vertiges d’une rencontre, Abyssinie l’appel du loup.
Bref, ce genre de catégorisation peut-être super utile.
Pour le coup, cette thèse représente ce que j’attends d’une démarche scientifique : se pencher sérieusement sur un sujet, faire gagner du temps à tout le monde en mettant des mots sur ce que l’on faisait de manière empirique, et donner un référentiel commun pour que l’on communique sur les mêmes bases.
Une thèse de sociologie
Mais c’est avant tout une thèse de sociologie, et on y parle donc de notre métier et de notre organisation. Maxence y décrit ce qui est en train de se passer suite à la création d’une école, l’IFFCAM, face à un métier qui existait mais sans formation initiale.
Il dégage également 3 catégories de réalisateurs. Pour faire un mauvais résumé, il y aurait en gros :
Les Naturalistes Cinéastes sont des amoureux de la nature qui ont pris une camera. Ils seraient plus portés sur l’éthique et le respect de la nature, mais auraient des difficultés ou peu d’intérêt à vendre aux chaines de TV. On peut penser à des réalisateurs comme Anne et Erik Lapied avec leur circuit de distribution de proximité, ou encore Daniel Auclair.
Les Scientifiques Cinéastes veulent expliquer des choses. Ils vendent mieux leurs films mais s’en battent un peu la rate si il y a un plan d’imprégné qui traine. Car pour eux, l’histoire ou l’explication prime. Allez, j’y mettrais par exemple Luc Jacquet.
La troisième catégorie est l’Homme d’Image qui a trouvé dans la nature un sujet sympa et qui va privilégier le récit. On y aurait mis Jacques Malaterre s’il avait réalisé le Plus Beau Pays du Monde, ou des gens comme Catherine Garanger ou encore évidemment Jacques Perrin.
J’ai un peu de mal avec ces catégories car ça met les gens dans des cases. Ça remet en cause la capacité du réalisateur à changer de registre, ou à être à la fois naturaliste et cinéaste, ou scientifique et éthique… Mais il peut y avoir un (gros) fond de vérité. Et puis la sociologie, ça doit servir à mettre des gens dans des cases, non ?
Et là, je me suis mis à rêver d’un diagramme à trois pointes où l’on pourrait classer la force des réalisateurs comme dans un jeu vidéo. Je me suis demandé si quelqu’un arriverait à être à 100% dans toutes les catégories. Le boss de fin du doc animalier… Le personnage mystère qui n’apparait qu’une fois que tu as battu Jacques Perrin, Cousteau et Attenborough. Je m’égare.
Et au fait, combien sommes nous ? (Une question que je me posais pour le documentaire en général. Mon idée, c’est qu’il y a plus de gens qui en font que de gens qui en regardent…). Maxence arrive lui à une liste de 400 personnes rien que pour le cinema animalier en France. Soit un par loup… (je sens que je tiens une idée de film collectif…)
Alors maintenant que je vous ai fait ce petit résumé, vous vous demandez si c’est vraiment une lecture utile pour un réal ? Ai-je vraiment besoin de la lire, cette thèse ?
Personnellement, les passages sur le métier m’ont donné une image plus claire de ce que font les autres, comment ils le font, ou encore comment ils ont pratiqué dans le passé. C’est donc un must-read pour qui veut faire carrière dans le cinéma animalier français. C’est intéressant également si vous êtes extérieur au milieu et que vous voulez comprendre qui fait quoi.
La thèse se termine par une question sociologique : verra-t-on un jour tout ce petit monde du cinéma animalier français échanger et s’organiser de façon plus formelle, ou juste poursuivre dans les rencontres qui existent déjà notamment en festival ?
Je ne sais pas quelle organisation sociologique les cinéastes animaliers français mettront en place, mais le Docteur Maxence Lamoureux aura en tout cas fait sa part du job.
Paul-Aurélien Combre