Parfois, j’ai le sentiment que le cinéma animalier est au cinéma ce que la chanson pour enfant est à la musique. Un truc mignon, nécessaire pour un certain public, qui peut être rentable mais qui ne concerne pas les vrais professionnels de la profession. Bref, on nous laisse faire mumuse dans notre coin.
Il faut dire que travailler avec l’animal, le vivant, est par nature aléatoire et s’oppose à la maitrise totale que recommande un plateau de fiction par exemple. Le plus souvent, la composition des plans est plutôt subie que recherchée. Difficile de dire à un lion de se placer sur la marque, sans avoir recours à de l’imprégné.
Or aujourd’hui, le recours à des images de synthèse se démocratise financièrement et tend vers un photoréalisme de plus en plus trompeur. Je vais donc ici défendre l’idée que le recours à la 3d permettrait parfois une mise en scène plus cinématographique et une écriture plus poussée.
La course à l’armement
Mon approche vise l’amélioration de l’écriture, mais la 3D peut aussi être importante dans la course à l’armement technique qui a toujours animé le documentaire animalier. Depuis 10 ans, on a vu arriver le cineflex, le timelapse, le drone, le 4K, le 8K, et demain la VR, chacune vendue avec l’argument que la captation de la nature devait toujours s’accompagner de l’image la plus belle et la plus immersive possible. Une 3d maitrisée serait alors un outil intéressant vers plus de spectaculaire.
La 3d peut aussi répondre à une logique de producteur. Aujourd’hui, la majorité des FX de fiction (cinéma et séries) sont là pour faire économiser de l’argent plutôt que de créer un effet visuel visible par le spectateur. Cela évite pêle-mêle la location d’une voiture de collection, la délocalisation de tout une équipe de tournage dans une autre ville, l’utilisation de milliers de figurants, etc…
Bon vous allez me dire, Paul, t’as du retard, ça fait des années qu’on voit des dinosaures à la TV… Ce n’est en effet pas nouveau, on a même pu ainsi faire des docus animaliers sur des espèces disparues. Si ces films n’étaient pas au départ d’un photoréalisme parfait, cela a permis au moins de raconter ce qu’on avait à raconter.
Les docus 3D animalières avec les années :
Walking with Dinosaurs 1999
Walking with Beasts 2001
March of the Dinosaurs 2011
Sur la terre des dinosaures 2013 (En fiction)
Vous avez aussi vu des publicités :
Les hérissons sympathiques de BMW, les hérissons libidineux de Spontex, l’ours cinéphile de Canal , les abeilles militantes de Greenpeace, le chat de Feu Vert.
Petites questions au passage : est-ce plus facile avec des dinosaures qu’avec des animaux que nous fréquentons au quotidien ? Et y a-t-il une vallée de l étrange avec les animaux ?
En tout cas, on se rend vite compte quand ça ne fonctionne pas, bercés que nous sommes par les progrès de la technique. Par exemple j’ai trouvé que les bisons de The Revenant courent bizarrement. En revanche l’attaque de l’ourse est superbe et a été récompensée ( http://www.hollywoodreporter.com/behind-screen/how-revenants-vfx-team-brought-861157)
Sinon dans le genre, il y a le livre de la jungle 2016. Ne cherchez pas, il n’y a pas un seul vrai animal dans le film.
Avant de vouloir se mesurer à Disney, on peut miser sur une autre solution :
le choix d’une animation non-photoréaliste assumée, qui reste dans les couts du documentaire : on va alors trouver des choses comme la célèbre série d’animation Minuscule ou même Lune de François de Riberolles ou encore Il était une Forêt de Luc Jacquet. C’est un choix qui peut être payant: après tout, si l’on est capable devant n’importe quel film d’animation d’oublier qu’on est devant un film d’animation, à quoi bon viser le photoréalisme ? De plus, on peut s’en servir pour apporter une direction artistique et donc une esthétique propre au film.
C’est une question à se poser, et qui correspond plus à une logique de case et d’attente du public. Bref, si vous arrivez à convaincre le chargé de programme d’une case Blue Chip que vous allez simuler l’attaque des loups sur un orignal en mimant en stop motion avec des patates et des fourchettes, vous avez tout mon respect.
C’est cher mais c’est bon
Le bon cinéma animalier montre du comportement. Quand on n’a pas de budget, on montre juste un animal qui ne fait rien de spécial. Mais si on veut une histoire, il faut qu’il interagisse avec son environnement, ou les autres espèces, ou les autres individus. Et la captation dans la nature demande alors un peu plus de temps. Prenons pas exemple la série LE PEUPLE DES VOLCANS de Saint-Thomas Production. Quatre épisodes animaliers, sans humains, où les animaux ont, si ce n’est leur destin, au moins leur quotidien modifié par la proximité et l’activité des volcans. Un excellent sujet, mais il faut alors montrer en image comment les individus s’adaptent, profitent ou subissent le volcanisme.
Si la plupart des images sont captées dans la nature de façon traditionnelle, la force du scénario repose sur quelques passages clés. L’apport des effets spéciaux est alors ici extrêmement qualitatif, plutôt que quantitatif.
Alors je vois poindre l’heure du débat éthique.
Sera-t-il le même qu’avec l’utilisation de l’animal imprégné ?
On aura d’un coté les « oui c’est du faux mais on fait du cinéma et on reprend des attitudes naturelles, c’est un trucage parmi d’autres comme dire qu’on filme toujours le même lion ou simplement même faire du montage ».
D’un autre coté les défenseurs de la captation dans le milieu, des cinéastes bio plus proches de la vérité et à l’abri de toute fantasmatisation de la nature diront : ” ce ne sera jamais aussi vrai que l’animal sauvage”.
De toute façon, on est encore très loin de l’idée de faire un documentaire pour la TV française 100% en VFX. On est plus dans l’idée de faire quelques secondes bien utiles.
Car cela ouvre quelques possibilités pour le scénariste et le réalisateur (ne nous en cachons pas, c’est bien souvent la même personne)
Par exemple, on peut désormais imaginer un scénario un peu foufou. Je connais un réalisateur qui travaille sur une comédie musicale avec des mouches ( bon d’accord, c’est moi). Cela ne serait pas possible sans quelques plans en 3D.
Mais passons rapidement en revue les possibilités :
(Quand on voit le livre de la jungle, on se dit qu’on peut tout faire, et qu’après c’est une question de budget).
Backplates + animation 3D. Vous filmez un décor, dans la nature par exemple. Vous intégrez une fausse bestiole en 3D qui passe dans l’image. La difficulté va être :
– la qualité du rush de décor. Y-a-t il du mouvement dans le plan? L’image est elle suffisamment stable, définie, et éclairée ?
– la qualité de la modélisation 3D de l’animal. les plumes, les poils sont autant de difficultés qui viennent s’ajouter
– la qualité de l’animation. Mon animal bouge-t-il de façon crédible ?
– l’interaction avec le décor : est-ce que l’animal soulève du sable, fait bouger une branche ?
– la capacité à reproduire la lumière du décor sur l’objet 3D. Un hdri fait sur le site du backplate par exemple.
Pour une animation plus fluide et parfois plus rapide de l’objet 3D, on peut tenter la motion capture. Encore faut-il avoir l’animal sous la main…
Le fond bleu (ou vert, ou rouge, ou whatever), s’il est bien réalisé, est une solution qui peut être efficace et évite d’avoir recours à de la modélisation 3D. Pas de problème d’animation donc, mais l’incrustation va demander d’être précis dans la gestion des transparences et toujours des lumières.
Face à ces difficultés (et à l’explosion de votre budget !), une solution se dessine, notamment pour rester dans les budgets du documentaire. Rester en plan large ! Ne pas chercher à reproduire un niveau de détail exceptionnel, un gros plan WAOUH, mais se focaliser plutôt sur l’essentiel pour que l’histoire fonctionne : une loutre qui traverse une route de nuit, une mouche qui va d’un point A à un point B, un lion qui rejoint un autre groupe. Le raccord se fera ensuite sur les gros plans et plans moyens captés dans la nature.
Pour l’instant, le savoir-faire est celui de sociétés spécialisés, de profils non issus de l’animalier. Mais à l’avenir, on peut imaginer facilement que la captation de backplates sera de plus en plus fréquente pour les équipes de prise de vue ‘’classiques’ envoyées sur le terrain. De leur cotés, les animateurs notamment devront se rapprocher de l’observation naturaliste, du terrain, pour voir comment bougent et évoluent les animaux.
Les réalisateurs devront eux travailler en amont de la captation. Discussions, storyboards, mais ce travail de Prévisualisation ne peut être que bénéfique, non ? Il y aura de toute façon comme toujours les grosses productions où ce sera bien fait, et les plus petites où le réal bidouillera dans son coin.
Alors, la 3D va-t-elle décoincer les scénarios de documentaire animalier ?
Paul-Aurélien Combre